
«
S'il m'avait été permis d'avoir
pour ami intime quelqu'un d'autre que Dieu,
cela aurait été Abû Bakr.
Seulement, il est mon frère et mon compagnon.
»
[
Parole du Prophète Muhammad, rapportée
par Bukhâri dans son Sahih.]
Lorsque
Muhammad
s'isolait dans la grotte de Hira pour méditer
et se recueillir, Abû Bakr, son futur
compagnon et beau-père était
alors un des plus riches commerçants
de la Mecque.
Etait-il
au courant de la quête spirituelle de
son compatriote? Il avait dû apprendre,
comme la plupart des gens de la Mecque, que
Muhammad, l'époux de la riche Khadîja
,
avait une attirance pour la méditation
et la spiritualité. Il devait être
au courant de son comportement moral, rare à
l'époque, qui lui avait valu le surnom
d' Al-Amîn (Le digne de confiance).
C'est
pour cela, sans doute, qu'il a dû le suivre
dès qu'il a commencé à
prêcher ce que l'Esprit Saint lui a révélé.
Par
ailleurs, les sources islamiques mettent l'accent
sur le caractère doux et spirituel d'Abû
Bakr . Il en était de même de son
penchant pour l'ascétisme et le
détachement des choses de ce monde. On
rapporte à cet effet, que même
devenu calife, successeur temporel du Prophète ,
il vaquait à ses affaires personnelles,
en vendant des vêtements au marché
pour subvenir à ses besoins. C'est dire
combien cet homme illustre était disposé
à recevoir les enseignements du Prophète
et à devenir un de ses plus intimes compagnons.
Abû
Bakr
appartenait à la célèbre
tribu de Quraysh. Ayant un ancêtre commun
avec le Prophète , il était donc
un pur produit de la noblesse arabe... Comme
s'il était prédestiné au
rôle qui serait le sien, les histoires
qui se rapportent à son sujet indiquent
que son comportement et sa morale durant son
enfance et sa jeunesse furent aux antipodes
de ceux de ses concitoyens. On louait son honnêteté
dans les affaires du commerce. On admirait sa
sagesse et sa pondération. Certaines
sources rapportent que le surnom d'As-Siddîq
(le véridique, le sincère) lui fut attribué par ses concitoyens
pour son intégrité morale.
D'autres,
par contre, estiment que cette appellation lui
avait été donnée par le
Prophète
parce qu'il avait été
le premier à croire au message divin
sans avoir jamais douté, même dans
les moments les plus pénibles.Quoi
qu'il en soit, ceci n'enlève rien au
mérite de ce grand homme que la Providence
divine a choisi comme un solide pilier pour
soutenir la mission du dernier des messagers.
Déjà,
lorsque le Prophète
revint de son fameux
voyage céleste (al-mi'râj), et
que ses concitoyens se mirent à le tourner
en dérision, Abû Bakr, à
qui ils s'adressèrent pour lui faire
remarquer la prétendue folie de son compagnon,
répondit, imperturbable :
«
Par Dieu, je crois à plus que cela; je
crois avec certitude qu'il reçoit la
révélation de son Seigneur du
haut du septième ciel.»
Cet
homme hors du commun est né à
la Mecque deux ans après le Prophète
.
Son père s'appelait 'Uthmân, mais
on le surnommait Abû Quhâfa. Quant
à sa mère, elle s'appelait Salma,
mais était connue sous le surnom d'Umm
al-Khayr. Il
reçut une solide éducation faisant
de lui l'une des personnes les plus en vue de
la société mecquoise.
Dès
son jeune âge, sa réputation d'honnête
homme, loyal, sage et intègre, s'imposa
à ses concitoyens. On rapporte que la
tribu des Quraysh l'avait choisi pour la représenter
dans les discussions lors des conflits tribaux
où il y avait mort d'hommes. Ces discussions
servaient à fixer le prix du sang (ad-diyya).
Il est évident que pour pouvoir être
désigné à tenir ce rôle-là,
il fallait avoir fait ses preuves en matière
de sagesse et de maturité.
On
rapporte aussi qu'il était très
sollicité par ses concitoyens pour ses
conseils qui étaient d'une grande utilité.
Figure
d'une grande noblesse, il était très
généreux envers les pauvres et
les nécessiteux. Toutes ces qualités
ne pouvaient que susciter l'estime et la sympathie
des gens de bon caractère et de bonne
moralité que connaissait alors la Mecque.
Parmi
ceux-ci, il y avait, bien sur, le Prophète
,
qu'une grande amitié, dit-on, liait à
notre homme. Et lorsque l'heure de la Révélation
sonna, on les retrouva tous les deux sur le
chemin de Dieu, assumant et subissant toutes
les épreuves qu'exige une telle mission.
Abû
Bakr
est, comme nous l'avons dit, le premier
homme à avoir embrassé l'islam.
Son choix ne fut pas long à se dessiner.
Connaissant l’honnêteté et la sincérité
de son ami d'enfance, il n'hésita pas
un instant. Il est vrai que sa nature douce
et son âme spirituelle le prédisposaient
à faire ce choix. Lorsque le Prophète
lui prêcha le message qu'il recevait de
son Seigneur, il l'accepta sans hésitation.
Il devint un des plus ardents défenseurs.
C'est à juste titre que le Prophète
a dit de lui :
«
S'il m'avait été permis d'avoir
pour ami intime quelqu'un d'autre que Dieu,
cela aurait été Abû Bakr.
Seulement, il est mon frère et mon compagnon.
»
Son
comportement et sa morale étaient des
plus exemplaires du temps même de la période
antéislamique (jâhiliya). On rapporte
qu’étant encore enfant, son père
l'emmena à la Ka'bâ pour rendre
un culte d'adoration aux idoles. Il s'approcha
de l'une d'elle et lui dit :
«
J’ai faim, nourris-moi ! » Il n'eut aucune
réponse. Il ajouta : « J'ai soif
donne-moi à boire ! » Il n'obtint
aucune réponse. Il ajouta encore : «
J’ai froid, vêtis-moi! » Ce fut
toujours le silence. À la fin, il prit
un caillou et lui dit: « Je vais te jeter
ce caillou et si tu es un Dieu, défends-toi.
» Il lui jeta le caillou et elle tomba
à la renverse.
On
rapporte aussi qu'il était d'une grande
vertu et qu'il n'avait jamais bu une goutte
d'alcool. Chose vraiment paradoxale dans une
société où tous ses membres
étaient des épicuriens nés.
Dans un Hadith rapporté par Ibn 'Asâkir,
on demanda à Abû Bakr pourquoi
il s'était toujours abstenu de boire
de l'alcool. Il répondit :
«
Parce que je voulais préserver mon honneur,
et protéger ma réputation ; car
celui qui s'adonne à l'alcool ne fait
attention ni à son honneur, ni à
sa dignité !»
Lorsque
le Prophète
entendit ces propos, il dit
:
" Abû Bakr a dit vrai
! Abû
Bakr a dit vrai ! »
Il
était dans la nature des choses qu'un
homme comme Abû Bakr
se convertisse à
la religion prêchée par Muhammad
dans la mesure où les idéaux véhiculés
par cette religion correspondaient à
sa philosophie de la vie. C'est pourquoi le
Prophète a dit à son sujet :
«
Tous ceux à qui j'ai prêché
l'islam ont trouvé quelque hésitation,
sauf Abû Bakr. »
Il
avait alors trente-huit ans. Sa vie sera dès
lors intimement liée au destin du Prophète
et de l'islam dont il sera un des principaux
piliers. On ne connaît pas d'événements
dans l'histoire de l'islam naissant où
il n'ait été associé avec
le Prophète . Bien plus rares étaient
les fois où il s'éloigna de l'Envoyé
de Dieu. On peut dire qu'ils étaient
inséparables. Les seules fois où
ils se séparèrent ce fut lorsque
le Prophète
lui confiait des missions
ou le chargeait d'accomplir des rites, comme
par exemple lorsqu'il fut désigné
pour diriger le pèlerinage succédant
à la prise de la Mecque et à la
purification de la Ka'ba. À l'exception
de ces rares cas où les deux hommes furent
séparés, le reste de leur existence
fut intimement lié jusqu'à ce
que la mort les eut séparés temporairement.
C'est
ainsi qu'on trouvera Abû Bakr
dans tous
les événements ayant jalonné
l'apostolat du Prophète . Il participa
à toutes les batailles que mena l'Envoyé
de Dieu contre les négateurs et, lorsque
le jour vint où celui-ci, décida
de quitter la Mecque pour s'établir à
Médine où son message trouva un
écho favorable, ce fut à lui qu'échut
l'honneur d'être son compagnon de route.
Le Saint Coran a d'ailleurs consigné
pour l'éternité cet événement
:

«
[...] Quand ils étaient dans la grotte
et qu'il disait à son compagnon: Ne t'afflige
pas, car Dieu est avec nous [...]» [ Sourate
9 – Verset 40 ]
Homme
très aisé et à la fortune
considérable avant l'avènement
de l'islam, il mit tous ses biens au service
de Dieu et de Son Envoyé.
On
rapporte qu'il racheta de nombreux esclaves
convertis livrés à la torture
par leurs maîtres mécréants,
et leur rendit la liberté. Parmi eux,
il y avait Bilâl, l'Abyssin, 'Amr Ibn
Fuhayra
et d'autres malheureux livrés
au supplice. C'est à juste titre que
le Prophète a dit à son sujet
:
«
Il n'y a pas de biens qui m'ont été
utiles (pour défendre la cause de Dieu)
comme ceux d'Abû Bakr !».
L'engagement
d'Abû Bakr
pour l'islam fut total et indéfectible.
Il fut un des rares compagnons à rester
ferme et à ne pas fléchir dans
les situations les plus désespérées.
Il faut dire qu'il n’a jamais douté du
soutien de Dieu à Son Envoyé.
On
aime rappeler, à ce propos, son comportement
héroïque, lors de la bataille d’Uhud
et de celle de Hunayn où, il resta avec
un petit nombre de compagnons autour du Prophète
,
alors que beaucoup durent fuir. Son courage
et sa bravoure étaient exemplaires.
Deux
hadiths illustrent cet état de fait.
'Urwa Ibn Zuhayr
rapporte qu'il avait demandé
à Abdallah Ibn 'Amr Ibn Al-' Âs
de lui raconter ce que les négateurs
avaient fait subir de plus dur au Messager de
Dieu. Il répondit :
«
J'ai
vu 'Uqba Ibn Mu'âdh, profiter, de ce que
le Prophète était absorbé
dans ses prières, dans un coin de la
Ka'ba, et de lui passer son vêtement autour
du cou pour l'étrangler. Alors, dit-il,
Abû Bakr
est arrivé et l'a repoussé
en disant : " Voulez-vous tuer un homme pour
avoir dit : Mon Seigneur, c'est Dieu !"
»
D'autre
part, 'Âïsha a relaté ce qui suit :
«
Lorsque les compagnons du Prophète
eurent
atteint le nombre de trente-neuf hommes, Abû
Bakr se rendit auprès du Messager de
Dieu et insista pour qu'il le laisse proclamer
ouvertement le message de l'islam. Le Prophète
lui fit savoir que les musulmans étaient
encore peu nombreux et qu'il ne voulait pas
les exposer aux brimades des négateurs.
Mais Abû Bakr
insista tellement que le
Messager de Dieu accepta. Alors que les musulmans
allaient se réfugier auprès des
membres de leur clan réunis autour de
la Ka'ba, Abû Bakr
se leva et commença
à prêcher en invitant les païens
qurayshites à l’adoration du Dieu unique.
Ceci provoqua, bien entendu, la fureur des infidèles
qui se jetèrent sur lui et commencèrent
à le rouer de coups au point de le défigurer.»
Ainsi,
donc, Abû Bakr
fut le premier homme à
prêcher ouvertement l'islam. Son
engagement n'en resta pas là, loin s'en
faut. Il s’engagea corps et âme dans le
triomphe du message prêché par
le Prophète
et mit à son service
tous les biens qu'il possédait.
Comme
nous l'avons signalé plus haut, Abû
Bakr était un des plus riches commerçants
de la Mecque.
L'historien
Ibn 'Asâkir a rapporté, d’après
le témoignage de 'Âïsha , que
la fortune de son père s'élevait
à quelque quarante mille dinars, somme
considérable à l'époque.
Il l’a bien entendu, entièrement dépensée
au service de l'islam, après sa conversion.
Ceci
eut pour effet de lui attirer l'hostilité
et les tracasseries des gens furieux de voir
la nouvelle religion prendre de l'ampleur et
gagner de nouveaux adeptes.
En
outre, le cas d'Abû Bakr
leur posa problème.
En effet, tant que les nouveaux convertis étaient
issus des classes défavorisées,
cela ne dérangeait nullement les qurayshites
qui y voyaient là une révolte
sociale de la plèbe contre l'aristocratie.
Ne sont-ils pas aller proposer à leur
chef de file toutes sortes de privilèges
sociaux afin qu'il renonce à son apostolat
?
Mais
le fait qu'un homme riche et noble comme Abû
Bakr passe de l'autre côté de la
barrière et rejoigne les disciples du
Prophète, prouvait que la nouvelle religion
prêchée par le Prophète
n'était pas une révolte sociale.
Abû
Bakr
pouvait vivre dans l'aisance et la considération
de ses concitoyens rien qu'en respectant leurs
croyances obscurantistes et en demeurant
dans leur camp. Mais il était convaincu
que Muhammad
était sincère dans
ce qu'il prêchait. Il savait que le caractère
de son compagnon le prédestinait à
un avenir grandiose.
Les
hommes prédestinés, notamment
les prophètes, ont cette particularité
qu'ils attirent leurs semblables comme l'aimant
attire l'acier. Leur aura spirituelle est telle
qu'elle irradie autour d'eux en touchant ceux
qui sont les plus prédisposés
à recevoir les faveurs divines. Abû
Bakr
était de ceux-là. La grâce
divine l'avait choisi pour assister le
dernier Messager dans sa mission. Il ne faillira
jamais en cours de route.
Jusqu'à
présent, les premiers convertis à
l'islam étaient en train de subir les
sévices et la violence des infidèles.
Les persécutions étaient telles
que le Prophète ordonna à ses
compagnons de quitter la Mecque et d'aller se
réfugier en Abyssinie auprès d'un
Négus sage et juste. Il leur dit :
«
Allez en Abyssinie ! Il y a là-bas un
roi auprès duquel personne n'est opprimé.
Restez-y jusqu'à ce que Dieu vous trouve
une issue plus aisée! »
Ils
étaient douze hommes et quatre femmes
parmi les plus faibles d'entre les musulmans
à faire ce voyage. Lassé des mauvais
traitements que lui faisaient subir les
infidèles, Abû Bakr
se trouva contraint
de partir lui aussi. Il demanda, pour ce faire,
la permission du Prophète
et prit le
chemin du Yémen où il devait prendre
la mer pour l'Abyssinie. Arrivé dans
un endroit appelé Qarâh, il rencontra
un allié de Quraysh, Ibn Ad- Dughuna
qui régnait sur cette contrée.
Celui-ci fut étonné d'apprendre
qu'un noble et illustre homme tel qu'Abû
Bakr se trouve obligé de s'expatrier
pour fuir les persécutions de ses
compatriotes. En homme loyal, connaissant à
plus forte raison la réputation d'Abû
Bakr, il lui proposa de lui accorder sa protection
et de retourner avec lui à la Mecque.
Devant
les dignitaires de Quraysh, Ibn Ad-Dughuna
annonça qu'il prenait Abû Bakr
sous sa protection, pratique qui était
très courante durant la période
antéislamique, notamment entre des tribus
qui étaient liées par une alliance
militaire.
Les qurayshites acceptèrent
cette protection, mais quelques temps après,
ils allèrent trouver Ibn Ad-Dughuna et
lui demandèrent de dire à son
protégé de ne plus lire le Coran
en public, parce que cela finissait, dans la
plupart des cas, par influencer les gens de
son voisinage.
Celui-ci fit ce que lui demandèrent
les qurayshites, et invita son protégé
à cesser sa lecture publique. Mais Abû
Bakr
lui répondit clairement :
«
Je n'ai plus besoin de ta protection! Dieu me
suffit. »
Il resta donc à la Mecque
et ne quitta plus l'Envoyé de Dieu.
Il
faut dire que plusieurs épreuves attendaient
ce dernier ainsi que ses compagnons qui sont
restés avec lui. Plus l'islam progressait
parmi les gens de la Mecque et des alentours,
plus l'acharnement des infidèles augmentait
et devenait intolérable. Il est vrai
que la conversion d'un noble comme Abû
Bakr
avait amené la conversion d'autres
membres de la noblesse mecquoise comme 'Uthman,
Talha, Zubayr Ibn Al 'Awwâm, Abî
Waqqâs, etc .
Avec
la conversion d'un autre illustre homme, 'Umar
Ibn Al-Khattab , l'islam s'imposait peu à
peu et le parti des musulmans se renforçait.
Ceci avait provoqué, par voie de conséquence,
le courroux des infidèles qui redoublèrent
d'acharnement dans leurs persécutions
contre les faibles d'entre les musulmans.
Une
nouvelle fois, le Prophète envoya plusieurs
de ses compagnons en Abyssinie. Quatre-vingt-trois
hommes et dix-huit femmes prirent part au voyage
vers le lointain pays du Négus.
Les
qurayshites, apprenant cette nouvelle, avaient
dépêché, auprès du
monarque abyssin, des émissaires pour
réclamer l'extradition des réfugiés.
En vain, celui-ci refusa d'accéder à
leur demande. Alors, de dépit, ils se
retournèrent contre ceux de la Mecque.
Ce fut alors le blocus total du clan des Banû
Hâshim que l'on mit en quarantaine dans
une vallée aride avec interdiction d'avoir
des contacts de quelque nature que ce soit avec
lui.
Ainsi, durant trois longues années,
les musulmans furent soumis à un boycott
des plus sévères. Ce fut là,
la plus dure épreuve à laquelle
furent confrontés les adeptes de l'islam.
Elle se termina par la mort de deux des plus
grands soutiens du Prophète : son épouse
Khadîja
et son oncle Abû Tâlib. L'Envoyé
de Dieu
fut très peiné par cette
épreuve. L'incrédulité
de son peuple et son hostilité à
son égard augmentaient sa peine.
Heureusement
que des hommes comme Abû Bakr
étaient
là pour le soutenir et atténuer
sa douleur. Leur fidélité indéfectible
et leur confiance sans limite dans la sincérité
de sa révélation forçaient
l'admiration.
Dans
le cas d'Abû Bakr, l'événement
extraordinaire de l'ascension du Prophète
et son voyage nocturne (al-isrâ' wal mi'râj)
allait en fournir une parfaite illustration.
En effet, lorsque le Prophète annonça
un jour, aux gens de Quraysh, qu'il venait de
faire son fameux voyage céleste qui l'avait
conduit de la Mecque à Jérusalem
et de là aux cieux, où il parvint
jusqu'au lotus de la limite (sidrat al¬-muntahâ),
il fut en butte aux sarcasmes des infidèles
et à leurs moqueries. Puis encore, ils
allèrent trouver son fidèle compagnon,
Abû Bakr, et lui rapportèrent sur
un ton sarcastique, ce qu'ils estimaient être
les élucubrations de son Prophète.
Mais Abû Bakr , à qui Dieu avait
ouvert le coeur à la foi, leur répondit
spontanément :
«
S'il a dit qu'il a fait ce voyage, c'est que
cela est vrai! Quant à moi, je le crois
déjà pour plus que cela ; je le
crois quand il me dit qu'il reçoit des
nouvelles du haut des sept cieux! »
Abû
Bakr
ne prononça pas ces paroles par
dépit ou pour narguer les détracteurs
de son compagnon, loin s'en faut, c'était
l'évidence même pour lui. Il avait
cru en la destinée extraordinaire de
Muhammad.
Après
la disparition d'Abû Tâlib, qui
a toujours soutenu son neveu au grand dam des
dignitaires qurayshites, les persécutions
contre le Prophète et ses compagnons
redoublèrent.
C'est
alors que l'Envoyé de Dieu
décida
d'émigrer à Médine, Yathrib
de son vrai nom, une ville située à
quelque cinq cents kilomètres de la Mecque,
et dont les habitants étaient déjà
acquis à l'islam. Beaucoup de ses compagnons
l'avaient déjà précédé.
Quant à lui, c'est avec Abû Bakr
qu'il décida, une nuit, de partir, alors
que ses ennemis préparaient un complot
pour le faire assassiner.
En
effet, une fois qu'il fut informé par
le Seigneur, des desseins des païens, il
recommanda à son fidèle compagnon
de préparer deux montures et des provisions
de voyage et lui confia qu'ils partiraient ensemble
à Médine, dans les plus brefs
délais. Abû Bakr
sauta de joie
à l'idée d'être le compagnon
de route du Prophète . En effet, à
chaque fois qu'il lui demandait la permission
de partir, celui-ci lui répondait :
«
Ne sois pas pressé ! Peut-être Dieu
te donnera-il un compagnon ! »
Il
est vrai que celui-ci avait pressenti ce voyage
avec l'Envoyé de Dieu. Pour ce faire,
il avait acheté deux chamelles, qu'il
avait confiées à un berger pour
les faire paître, en attendant le jour
du départ.
C'est
ainsi que le jour tant attendu arriva. Le Prophète
se dirigea vers la demeure d'Abû Bakr
qui l'attendait avec anxiété,
tandis que les païens encerclaient sa maison
dans le but de l'assassiner.
Tous
deux, en compagnie d'un guide affrété
par Abû Bakr, prirent le chemin du désert,
poursuivis par les hordes de païens, rendus
furieux par leur coup manqué. Ce fut
un voyage plein de péripéties
duquel allait dépendre l'avenir de l'islam.
De
fait, les lèvres des musulmans, réunis
à Médine, étaient suspendues
à la nouvelle de l'arrivée de
leur Prophète sain et sauf parmi eux.
Abû Bakr, quant à lui, tremblait
de frayeur à l'idée qu'il puisse
arriver malheur à son compagnon.
On
rapporte, en effet, que durant tout le trajet
qu'ils effectuèrent ensemble, Abû
Bakr
veilla sur le Prophète comme sur
la prunelle de ses yeux. Déjà,
avant de partir, il avait pris avec lui tout
son argent, pour le mettre au service du Messager
de Dieu.
Quand ce dernier l’apprit, il
lui demanda
:
-
«
Et qu'as-tu laissé à ta famille,
ô Abû Bakr ? » Il répondit
: -
« Je leur ai laissé Dieu et son
Prophète ! »
Lorsqu'ils
se réfugièrent dans la caverne
de Thawr pour fausser les recherches des tueurs
lancés à leur poursuite, c'est
encore lui qui entra, le premier, pour vérifier
s'il n'y avait pas d'animal dangereux caché
à l'intérieur. Durant tout le
trajet qui les séparait de Médine,
il ne cessait de s'inquiéter pour le
Messager de Dieu.
Il ne savait quoi faire pour
le protéger. Tantôt, il le précédait
de crainte qu'un danger ne surgît de devant,
et tantôt, se rappelant que le danger
pouvait venir de derrière, il laissait
ce dernier avancer et se mettait derrière
lui. Il ne cessa sa vigilance qu'une fois arrivés
en vue des murs de Médine où les
attendaient, avec impatience, ses habitants,
les Ansârs, et les musulmans qui avaient
émigré, les Muhâjirîn.
L’arrivée
à Médine annonçait une
nouvelle ère pour l'islam qui bénéficiait
à présent d'un espace favorable,
lui assurant protection et propagation. Il est
vrai que l'hostilité et le bellicisme
des infidèles ne faisaient que commencer.
Pour
défendre leur foi, leurs biens et leurs
familles, les musulmans allaient être
obligés de faire la guerre. Abû
Bakr fit preuve, au cours des nombreuses batailles
menées par le Prophète , d'un courage
extraordinaire. Il participa à toutes
les campagnes des musulmans. Sa bravoure était
reconnue par tous les compagnons y compris les
plus illustres d'entre eux dont 'Ali
Ibn Abî Tâlib .
Le
traditionaliste Al-Bazzâr , a rapporté,
à ce sujet, ce qui suit .
«
Un jour, au cours d'une assemblée, 'Ali
demanda aux personnes présentes de lui
citer celui qu'ils pensent être le plus
courageux parmi les musulmans. On lui répondit
: " C’est toi." Il dit : "C'est
vrai à chaque fois que j'ai affronté
quelqu'un, j'ai eu le dessus sur lui. Mais il
y a encore quelqu'un de plus courageux. Dites-moi
qui est-ce ?" Ils répondirent :
" Nous ne savons pas !" Il dit alors
: "C'est Abû Bakr ! Et je vais vous
dire pourquoi ; lors de la bataille de Badr,
nous avions installé pour le Messager
de Dieu
un auvent pour qu'il soit à l'abri
du soleil. Ceci étant, nous avions jugé
utile de lui adjoindre un garde du corps pour
le protéger des attaques surprises des
infidèles. Nous demandâmes un volontaire,
et c'est Abû Bakr
qui se proposa pour
cette tâche. Il se tint à la hauteur
du Messager de Dieu tenant son épée
à la main et, à chaque fois qu'un
infidèle essayait de s'approcher du Prophète
,
il l'en empêchait. Certes, Abû Bakr
est le plus courageux parmi nous."»
D'un
caractère doux et pondéré,
il savait être ferme lorsque les circonstances
l'exigeaient. On rapporte, à cet égard,
le fait suivant :
Lors
des pourparlers précédant le traité
historique d'Al-Hudaybiyya, conclu entre le
Prophète et les qurayshites, le représentant
de ces derniers, 'Urwa Ibn Mas'ûd
Ath-thaqafi, essaya de dissuader l'Envoyé
de Dieu d'entrer à la Mecque, en lui
disant : « Par Dieu, je crains que les
hommes qui sont avec toi ne t'abandonnent demain.
Si tu savais ce que Quraysh est en train de
préparer pour t'empêcher d'y entrer.
» Abû Bakr
, présent avec
le Prophète , répliqua aussitôt
en insultant les divinités païennes
:
« Crois-tu sérieusement que nous
allons abandonner l'Envoyé de Dieu?
»
À
la signature du traité d'Al-Hudaybiyya,
il fut choisi comme témoin par le Prophète
qui avait, en face de lui, Sahl Ibn 'Amr, le
délégué de Quraysh. On
rapporte que ce dernier fut très surpris
par la fermeté d'Abû Bakr, réputé
pourtant pour sa douceur.
Doux,
il l’était toujours, certes, mais maintenant
que la Vérité avait pénétré
son cœur, il se consacrait corps et âme
pour elle, ne voulant faire aucune concession
à ces infidèles aveugles refusant
de voir des êtres humains pourvus d'intelligence
s'accrocher à des croyances insensées
et rejeter la Vérité dans toute
sa splendeur. Lui, par contre, avait eu l'immense
privilège d'atteindre le summum de la
foi et de goûter à la saveur incomparable
que cela procure. Ce degré de la foi
a été qualifié ainsi par
l'Envoyé de Dieu :
«
C'est d'adorer Dieu, comme si tu Le voyais;
car, si tu ne le vois pas, certes, Lui te voit.
»
Abû
Bakr
avait atteint, sans nul doute, ce stade
de la foi. Son comportement moral, avant et
après son investiture comme calife, ses
sacrifices, son engagement total pour la cause
de l'islam, en sont les meilleurs indices.
Abû
Bakr
n'a jamais douté de la véracité
de la mission du Prophète . Il était
tellement convaincu de la bonne foi et de la
sincérité de ce dernier, qu'il
n'a jamais hésité un instant à
s'investir de toute son âme pour le triomphe
du Message.
A
vrai dire, les mérites d'Abû Bakr
ne peuvent être énumérés
dans leur totalité tant ils sont nombreux.
Que dire de plus, en effet, sur un homme loué
à plusieurs reprises par le Coran lui-même!
Selon le propre témoignage de nombreux
compagnons, beaucoup de versets ont été
révélés pour mettre en
exergue le comportement exemplaire d'Abû
Bakr et sa piété admirable. On
en cite plusieurs à ce sujet :

«
Si vous ne lui apportez pas assistance, Dieu
la lui a effectivement apportée lorsque
ceux qui avaient mécru le firent sortir
deuxième de deux, quand ils étaient
dans la grotte, et qu'il disait à son
compagnon; ne t'afflige pas, car Dieu est avec
nous. » [ Sourate 9 – Verset 40 ]
Tous
les commentateurs du Coran sont unanimes pour
dire que ce verset fait allusion à Abû
Bakr, réfugié avec le Prophète
dans la caverne de Thawr, alors qu'ils étaient
poursuivis par les qurayshites. Dans les
versets 5 à 7 de la sourate 92, il est
dit :
«
Celui qui aura donné (l'aumône)
et craint pieusement Dieu. Et qui aura cru au
bien, Nous le prédisposerons à
la vie la plus aisée. »
'Abdallah
Ibn Mas'ûd
a dit au sujet de ces versets
qu'ils ont été révélés
après qu'Abû Bakr
eût racheté
Bilâl, l'Abyssin et lui eût rendu
sa liberté.
D'autre
part, 'Abdallah Ibn Az-Zubayr , soutient que
c'est au sujet d'Abû Bakr
que les versets
suivants ont été révélés
:

«
Qui donne ses biens pour se purifier, et auprès
de qui personne ne profite d'un bienfait
intéressé, mais seulement pour
la recherche de la face de son Seigneur le Très-Haut.
Et certes, il sera bientôt satisfait.»
[ Sourate 92 – Versets 18-21 ]
Par
ailleurs, Ibn 'Abbâs et Ibn 'Umar estiment
que le verset suivant a été révélé
au sujet d'Abû Bakr
et de 'Umar. Il s'agit
de la parole du Très-Haut :
«
[...] Si vous vous soutenez l'une l'autre contre
le Prophète, alors ses alliés
seront Dieu, Gabriel et les vertueux d'entre
les croyants [...] » [ Sourate 66 – Verset
4 ]
Ussayd
Ibn Safwân a rapporté, pour sa
part, que' Ali Ibn Abî Tâlib
a dit,
concernant la parole de Dieu : « Celui
qui vient avec la Vérité […] »
Il s'agit de Muhammad ; quant à la suite
du verset : « et celui qui y crut.»
[
Sourate 39 - Verset 33 ], il s'agit d'Abû Bakr. [
Rapporté par Al-Bazzar et Ibn 'Asâkir
]
C'est
ce compagnon que les musulmans, à la
mort de leur Prophète , vont choisir pour
déléguer les pouvoirs temporels
et spirituels de leur communauté. Il
y a plusieurs jours déjà que le
Prophète était alité, souffrant
de fortes douleurs qui l'empêchaient de
sortir de sa demeure. Ce n'est qu'appuyé
sur les épaules de deux compagnons qu'il
pouvait sortir de temps à autre, pour
diriger la prière ou rendre visite à
ses proches.
Quelques
temps après, ne pouvant plus supporter
les âffres de la maladie et le va et vient entre
ses épouses, il demanda à ces
dernières la permission de rester
dans la chambre de 'Âïsha , sa plus
jeune épouse.
C'est alors qu'il chargea
Abû Bakr
de diriger la prière en
commun à sa place. On rapporte que ‘Âïsha
,
en entendant cela, intercéda en faveur
de son père afin qu'il soit déchargé
de cette responsabilité. Elle justifia
cela par le fait que son père, étant
une personne très sensible, ne pouvait
s'empêcher de pleurer pendant la prière,
ce qui aurait rendu sa voix inaudible. Mais
le Prophète
insista jusqu'à se
mettre en colère. Il voulait à
tout prix qu' Abû Bakr
prenne sa place
dans la direction de la prière.
Les savants
musulmans ont déduit, à la suite
de cet événement, que le Prophète
avait souhaité accorder sa succession
à la tête de la communauté,
à Abû Bakr.
Il
est vrai qu'à travers de nombreux faits
et événements, on remarque le
souhait de l'Envoyé de Dieu de voir son
fidèle compagnon lui succéder
à la tête de la communauté.
Ce choix tient à plusieurs raisons. Nous
avons vu plus haut, en effet, qu'Abû Bakr
fut le premier homme à embrasser l'islam.
Son adhésion entraînait celle de
nombreux autres notables, vu le prestige dont
il jouissait à la Mecque.
Le Prophète
a dit à son sujet :
«
Tous ceux à qui j'ai prêché
l'islam ont trouvé quelque hésitation,
sauf Abû Bakr. »
En
outre, sa fidélité à l'islam
et sa foi en la sincérité du Prophète
ne furent jamais ébranlées, même
dans les moments les plus difficiles. Nous
avons vu son attitude le jour où il
répondit aux qurayshites qui mirent en
doute l'affirmation du Prophète lors
de son ascension au ciel.
Par
ailleurs, plusieurs faits et allusions du Prophète
laissent entendre, sans aucune ambiguïté,
que l' Envoyé de Dieu souhaitait ardemment
que sa succession à la tête de
la communauté soit assurée par
Abû Bakr. Ainsi, Hudayfa a rapporté que le Prophète
a dit :
«
Suivez la voie de ceux qui viendront après
moi : Abû Bakr
et 'Umar. » [ Rapporté
par Tirmidhî et Al-Hâkim ]
'Abdallah
Ibn 'Umar
a rapporté, pour sa part, que
le Prophète a dit :
«
Onze califes viendront après moi; quant
à Abû Bakr, il restera peu de temps.
» [ Rapporté par AI-Baghawî
]
En
outre, lors de sa maladie, le Messager de Dieu
a dit à ses compagnons :
«
Fermez toutes les portes des demeures qui donnent
sur l’intérieur de la mosquée,
et ne laissez ouverte que la porte d'Abû
Bakr! » [ Rapporté par Bukhârî.]
Par
ailleurs, Muhammad
Ibn Jubayr Ibn Murim a rapporté
d"après son père qu'une femme avait rendu
visite au Messager de Dieu
à propos d'un
problème la concernant. Celui-ci lui
demanda de revenir une autre fois. La femme
dit : « Et si je ne te retrouvais plus
(de ce monde) ? L'envoyé de Dieu lui
répondit : « Si je ne suis plus
là, adresse-toi alors à Abû
Bakr! » [ Rapporté par AI-Bukhârî
et Muslim ]
Toujours
dans cet ordre d'idées, on demanda à
'Âïsha :
«
Si le Messager de Dieu avait pu désigner
un successeur, quelle est la personne qu'il
aurait pu choisir? » Elle répondit
: « Cela aurait été Abû
Bakr! » On lui demanda : « Lequel
ensuite? » Elle répondit: «
'Umar ! » On lui demanda : « Lequel
en¬suite ? » Elle répondit :
« Abû 'Ubayda Ibn AI-Jarrâlh!
» [ Rapporté par Muslim ]
Tous
ces hadiths, qui sont autant de marques de confiance
et d'estime qu'avait le Prophète
pour
son fidèle compagnon, montrent que celui-ci
était le plus digne et le plus apte pour
prendre sa succession et diriger les affaires
de la communauté.
Ce
n'est pas sans raison, d'ailleurs, qu'un des
compagnons, Ibn Al-Musayyib a dit, selon un
hadith rapporté par Al-Hâkim:
«
Abû Bakr
avait, auprès du Prophète,
la place d'un ministre. Il lui demandait conseil
en toute chose. Il était son second en
Islam, son second dans la caverne, son second
sous l'auvent le jour de Badr et son second
dans le tombeau. Jamais il ne donnait la priorité
sur lui à quelqu'un d'autre. »
Quant
à l'imam Ash-Shâfi'î , il
dit à juste titre : « Toute la
communauté est unanime quant au
choix judicieux d'Abû Bakr
au califat,
car une fois le Messager de Dieu décédé
,
il était nécessaire que la communauté
choisisse un chef pour diriger ses affaires.
À ce titre, on n'a pas trouvé
un homme meilleur qu'Abû Bakr, et c'est
à lui qu'on a prêté allégeance.»
[ Rapporté par Al-Bayhaqî.]
Il
faut dire aussi que la mort du Prophète
fut un véritable choc pour les musulmans.
C'est vrai que l'Envoyé de Dieu - du
fait de sa mission divine - n'était pas
un homme ordinaire, mais il restait tout de
même un mortel, comme tous les hommes.
Pourtant, l'amour et la vénération
qu'avaient les musulmans pour leur Prophète
leur avait fait oublier cette vérité.
'Umar
est allé jusqu'à tirer son épée
en disant :
«
Le Messager de Dieu n'est pas mort; comme Moïse,
il est allé vers son Seigneur, puis il
va revenir. Je trancherai la gorge à
quiconque dira qu'il est mort. »
Heureusement
qu'un homme comme Abû Bakr
sut garder
sa lucidité. Grâce à sa
grande sagesse, il put arriver à calmer
les esprits.
Quand
l'Envoyé de Dieu
rendit le dernier soupir,
il n'était pas là. Avec la permission
de celui-ci, il était parti rendre visite
à son épouse qui habitait en dehors
de Médine.
Lorsque
la nouvelle lui parvint, il revint aussitôt
à Médine. Accablé par le
chagrin, il entra dans la chambre mortuaire,
salua la noble dépouille, l’embrassa
sur le front et dit, le visage inondé
de larmes : « Par mon père et ma
mère que je sacrifierais pour toi! Que
ton corps sent bon! Vivant ou mort, tu n'as
pas changé, il s'exclama ensuite, par
le Seigneur de la Ka'ba ! Muhammad
est mort!
»
Il
partit ensuite à la hâte vers la
mosquée où 'Umar
était
en train de menacer toute personne qui oserait
prétendre que Muhammad
était mort.
On raconte qu'il mit la main sur l'épaule
de 'Umar
et lui dit :«
Patience, ô 'Umar ! »
Ensuite, il
s'adressa aux musulmans réunis en ces
termes : « Ô peuple! Que ceux d'entre
vous qui adoraient Muhammad, sachent que
Muhammad
est mort! Quant à ceux qui adorent
Dieu, qu'ils sachent que Dieu est vivant et
ne meurt pas; ensuite, il récita la parole
du Très-Haut :
"
Muhammad n'est qu'un
Messager des messagers avant lui sont passés
- s'il mourait donc., ou s'il était tué,
retourneriez-vous sur vos talons? " [ Sourate
3 – Verset 144 ]
Ce
discours d'Abû Bakr
eut l'effet d'une
douche froide pour les musulmans. 'Umar , abattu,
avoua avoir eu l'impression que ce verset venait
d'être révélé.
Par
une grande sagesse et un sang froid admirable,
Abû Bakr
venait
de sauver la cohésion
de la communauté, fraîchement scellée.
Son charisme exceptionnel lui permit d'assurer
la succession du Prophète
sans encombre,
tandis qu'un risque de divergence entre les
Muhâjirîn - ceux qui ont émigré
de la Mecque suite à la demande du Prophète
- et les Ansârs - ceux qui ont accueilli
les Muhâjirîn chez eux à
Médine - sur le droit à cette
succession était possible à tout
moment.
'Umar
ne s'est pas trompé en disant : «
Par
Dieu, nous n'avions pas d'autre issue, pour
le bien de la communauté, que d'élire
Abû Bakr ! »
Pourtant,
on rapporte que lui-même avait proposé
pour la succession du Prophète,
deux hommes non moins illustres : il s'agit
de 'Umar Ibn Al-Khattâb et de 'Ubayda
Ibn Al-Jarrâh , l'homme de confiance de
la communauté, comme l'avait surnommé
le Messager de Dieu .
Or, un risque de division
guettait la communauté, surtout que certains,
parmi les Ansârs, allèrent jusqu'à
proposer l'élection de deux califes,
l'un parmi les Muhâjirîn et l'autre
parmi les Ansârs. Il fallait choisir quelqu'un
qui ait un ascendant certain sur la communauté
des croyants et qui pouvait se prévaloir
d'une aura spirituelle à même de
sceller la cohésion des rangs et la communion
des esprits. Qui d'autre qu'Abû Bakr
pouvait
accomplir ce rôle grandiose?
On
rapporte ainsi que lorsque la discussion s'échauffa
entre les Muhâjirîn et les Ansârs
dans la Saqîfa des Banû Sâ'ida,
Abû 'Ubayda
se leva et dit : « Ô
vous les Ansârs, vous avez été
les premiers alliés de l'islam, alors
ne devenez pas les premiers à vous en
détacher et à innover dans la
religion de Dieu. »
À
ce moment-là, Bashîr Ibn Sâ'ida
-le père de Nu'mân Ibn Bashîr,
se leva et dit
:
« Ô vous les Ansârs ! Si
nous avons eu le mérite de nous battre
pour la cause de Dieu contre les infidèles,
et d'être parmi les premiers à
entrer dans l'islam, en vérité,
nous ne l'avons fait que pour gagner la satisfaction
de Dieu, et par obéissance à notre
Messager. Nous avons œuvré pour notre
devenir! C'est Dieu seul qui nous a gratifiés
de ce bienfait ! Sachez que Mulhammad était
de Quraysh, et les siens ont plus de droits
que vous. Par Dieu, quant à moi, je ne
me querellerai jamais avec eux à ce sujet
!
Craignez Dieu, et ne vous divisez pas avec eux
en leur discutant cette autorité. »
Abû
Bakr se leva alors et dit :
« Voici 'Umar,
et voici Abû 'Ubayda ! Choisissez celui
que vous voulez d'entre eux! »
Mais ils
se levèrent et dirent tous deux :
«
Non, par Dieu ! Personne d'autre que toi n’a
le droit de revendiquer cette succession ! Tu
étais le meilleur d'entre les Muhâjirîn,
et tu étais l'un des deux dans la caverne
en compagnie du Prophète . L'Envoyé
de Dieu t'a désigné pour lui succéder
dans la direction de la prière, et la
prière est le pilier de la religion !
Qui pourra prétendre être capable
de diriger les affaires de la communauté,
sinon toi ? Tends la main pour que l'on te fasse
allégeance. »
À
ce moment-là, Bashir Ibn Sa'd se précipita
et fit, le premier, son allégeance. Ce
faisant, les Ansârs firent de même
et élirent Abû Bakr
Calife. Tous
prêtèrent allégeance, sauf
Sa'd Ibn 'Ubâda, et les Banû Hâshim,
qui étaient en train de préparer
les funérailles du Prophète .
C'est
ainsi que le fidèle compagnon du Prophète
fut élu à la tête de la
communauté. On rapporte qu'il fit, à
cette occasion, le discours suivant :
«
Ô peuple! J'ai été investi
de la charge de la communauté, bien que
je ne sois pas le meilleur d'entre vous. Si
j'agis bien, aidez-¬moi, mais si je dévie
du droit chemin, corrigez-moi! Le plus faible
d’entre vous sera considéré comme
puissant par moi, jusqu'à ce que je lui
obtienne son droit, et le puissant d'entre vous
sera considéré comme faible par
moi, jusqu'à ce que je lui arrache le
droit qu'il a pris aux autres, et ce, par la
volonté de Dieu ! »
La
communauté naissante de l'islam avait
trouvé son homme. Après lui avoir
assuré son unité et sa cohésion,
celui-ci va lui assurer son expansion et son
rayonnement. C'est ainsi que dès son
accession aux destinées de la communauté,
il prît sa première décision
politique en maintenant l'expédition
militaire, décidée par le Prophète
avant sa mort et confiée à Usâma
Ibn Zayd .
Cette expédition devait partir
en Syrie, mais fut retardée par la maladie,
puis la mort du Prophète .
Ceci
étant, devant les périls qui commencèrent
à menacer la communauté dans son
cœur même (Médine), l’expédition
d'Usâma
devenait inopportune voire inutile.
Certains compagnons la contestèrent et
en firent part au Calife.
Il est vrai que suite
à la mort du Prophète
des remous
commencèrent à apparaître
au sein de certaines tribus fraîchement
converties. On en vint même à refuser
la donation de la zakât sous prétexte
que le Prophète étant mort, cet
impôt n'avait plus aucune validité.
Plus grave encore, des illuminés, tentés
par la recherche d'une gloire éphémère
et exploitant la crédulité
de leurs compatriotes, proclamèrent qu'ils
étaient eux-mêmes prophètes
et attirèrent vers eux leurs propres
tribus. Ces imposteurs, qui avaient pour noms
Tulayha, Al-Aswad, Musaylima et Sajâh,
avaient créé un véritable
désordre qui risquait de saper les fondements
de l'état naissant.
Les
compagnons qui contestaient l'expédition,
craignaient que les tribus arabes en rébellion
n'en profitent pour attaquer l'état central
de Médine. Certains d'entre eux mirent
aussi en doute les capacités d'Usâma
,
vu son jeune âge, dix-sept ans à
peine. Ils demandèrent à Abû
Bakr
de le démettre et de le remplacer
par un autre plus expérimenté.
Il faut signaler, cependant, qu'Usâma
avait été désigné
par le Prophète avant de mourir et que,
de ce fait, le démettre, signifiait pour
Abû Bakr, aller contre la volonté
du Messager de Dieu.
Et cela, il ne pouvait
l'admettre. Il répondit ainsi à
ceux qui lui demandaient de démettre
Usâma : «
Quel droit ai-je, moi,
de renvoyer un homme désigné par
l'Envoyé de Dieu ? » Abû Bakr
voulait rester fidèle à la mémoire
du Prophète . Il ne voulait pas remettre
en cause l'une de ses dernières volontés.
De plus, il savait l'amour que portait le Messager
de Dieu à Usâma, le fils de Zayd
Ibn Hâritha, son affranchi.
Trois
semaines après la mort du Prophète
,
l'expédition menée par Usâma
s'ébranla vers la Syrie. Le Calife lui-même
l'escorta jusqu'à la sortie de Médine
et donna aux soldats les directives suivantes
qui dénotent d'un profond esprit chevaleresque
et humanitaire. Il leur dit :
«
Ne vous comportez pas à la manière
des traîtres ! Ne vous adonnez pas aux
mutilations à la manière de vos
ennemis et ne tuez ni enfant, ni vieillard,
ni femme. Évitez d'abattre ou de brûler
les palmiers et les arbres fruitiers. Evitez
de tuer les animaux domestiques, sauf pour vous
nourrir. Dans votre expédition, vous
allez rencontrer des gens qui se sont retirés
dans des monastères pour s'adonner à
la méditation et au recueillement : Laissez-les
et ne les perturbez pas ! » Il leur dit
ensuite : « Partez au Nom de Dieu ! »
Quelques
semaines après, l'armée musulmane
revint à Médine, victorieuse et
auréolée de gloire. Usâma,
,
son chef, n'avait pas démérité.
Il avait montré qu'il avait toutes les
qualités d'un stratège. Le succès
de son expédition était total.
Abû Bakr
pouvait en être fier. Sa
décision s'était avérée
fructueuse. Sur la lancée, il envoya
d'autres expéditions pour mater les quelques
tribus turbulentes qui avaient suivi les imposteurs
et celles qui refusèrent de donner la
zakât, arguant du fait qu'elles avaient
l'habitude de la remettre au Prophète
et que, celui-ci, étant mort, elles ne
pouvaient la donner à un autre que lui.
Ce à quoi, Abû Bakr répondit
:
«
Par Dieu, s'ils refusent de me remettre, ne
serait-ce qu'une jeune chamelle qu'ils avaient
l'habitude de donner à l'Envoyé
de Dieu, je les combattrai jusqu'à ce
qu'ils me la donnent !»
Il
faut dire que c'est grâce à cette
fermeté du Calife que la cohésion
de la communauté put être assurée
et que la propagation de l'islam fut relancée.
'Umar
lui-même, pourtant réputé
pour son intransigeance, s'opposa à Abû
Bakr sur cette question.
En
effet, il lui dit :
« Comment peux-tu
combattre ces gens, alors que le Messager de
Dieu a dit : "Il m'a été
ordonné de combattre les gens jusqu'à
ce qu'ils témoignent qu'il n'y a d'autre
divinité que Dieu, l'unique, et que Muhammad
est Son Messager. S'ils attestent ce pourquoi
je suis venu, ils seront, à mon égard,
garantis quant à leurs personnes et à
leurs richesses, à moins qu'ils ne transgressent
les prescriptions de l'islam (ouvertement).
Il appartient à Dieu de leur demander
compte de leurs actions."»
Mais
Abû Bakr
lui répondit :
«
Par Dieu, je combattrai toute personne
qui fera un clivage entre la prière et
la zakât, car la zakât est une prescription
à laquelle ils ont manqué dans
leurs richesses. »
'Umar
a fini par dire :
« C'est à ce
moment-là que Dieu ouvrit mon cœur au
sens véritable de ce problème,
comme il a guidé Abû Bakr
à
le comprendre et j'ai acquis dès lors
la conviction que cette décision qu'a
prise Abû Bakr
était la plus conforme
à l'islam! »
C'est
ainsi que le successeur du Prophète
décida
de sévir contre les tribus récalcitrantes
en envoyant contre elles les meilleurs généraux
de l'armée musulmane. Les instructions
étaient claires : rappeler aux gens les
cinq obligations de l'islam. L'enjeu était
important. Si le mouvement de rébellion
ou, comme l'ont appelé les historiens,
la guerre d'apostasie, avait été
laissé sans susciter de réaction,
il aurait contaminé toutes les tribus
fraîchement islamisées.
L'état
central de Médine aurait été,
à brève échéance,
menacé, et la propagation de l'islam
compromise. C'est pourquoi, il a décidé
d'agir très vite et avec fermeté
afin de décourager toute tentative qui
mettrait en cause l'unité et la stabilité
de la communauté. Il faut dire que beaucoup
de tribus de la péninsule arabe n'étaient
pas encore bien ancrées dans l'islam
bien qu'elles aient adopté ses rites
cultuels. C'est à ces tribus-là,
d'ailleurs, que fait allusion le Coran dans
un des versets :
«
Les bédouins ont dit : " Nous avons
la foi." Vous n'avez pas la foi. Dites
plutôt : " Nous nous sommes simplement
soumis", car la foi n'a pas encore pénétré
dans vos coeurs.» [ Sourate 49 – Verset
24 ]
D'autres
tribus, par contre, ne s'étaient pas
converties à l'islam, mais avaient simplement
signé des traités avec le Prophète,
qu'elles se sont empressées de violer
dès la mort du Messager de Dieu, pour
se mettre en état de rébellion
contre son successeur. Abû Bakr
ne pouvait,
sans risquer de mettre en danger le devenir
de la communauté, laisser ce mouvement
prendre de l'ampleur, d'autant plus que les
imposteurs à l'image d'un Musaylima ou
d'une Sajâh qui avaient entraîné
avec eux leurs tribus, pouvaient, grisés
par leur succès et par le laxisme du
Calife, aiguiser leurs ambitions.
Abû
Bakr
n'était pas homme à confondre
pondération avec laxisme ! Il réagit
promptement et avec fermeté en mettant
fin au désordre avant qu'il ne se propage.
En quelques semaines seulement, ses généraux
parmi lesquels se trouvaient les célèbres
Khâlid Ibn Al-Walîd, 'Ikrima Ibn
Abî Jahl, 'Amr Ibn Al-'Âs…
purent
mater la rébellion et redonner à
la communauté son unité et sa
stabilité.
Abû
Bakr
pouvait se consacrer maintenant à
l'idéal auquel il comptait tellement.
Il s'agissait de la propagation du message de
Muhammad
conformément à la parole
du Très-Haut :
«
Nous ne t'avons envoyé que par miséricorde
pour l'humanité. » [
Sourate 21- Verset 107 ]
De
fait, dès qu'il put mettre fin au désordre
suscité par la rébellion
des tribus ayant suivi les imposteurs prétendant
à la prophétie, Abû Bakr
se consacra à la propagation de l'islam
aux quatre coins du monde. Il inaugura alors
l'épopée des conquêtes que
ses successeurs poursuivront avec une rapidité
jamais égalée dans l'histoire
de l'humanité. Il faut préciser,
toutefois, que le mot « conquête»
ne veut nullement dire ici, colonisation ou
invasion, dans le sens où l'entendent
certains orientalistes.
Les
conquêtes de l'islam ne sont pas des conquêtes
de territoires ou de richesses terrestres, loin
s'en faut, ce sont des conquêtes de cœurs
et d'âmes. Jamais, dans l'histoire de
l'humanité, on n'a vu des conquêtes
se dérouler aussi pacifiquement et aussi
correctement que celle des musulmans. Ceux-ci
avaient le souci de répondre à
la prescription coranique :

«
Pas de contrainte en matière de religion.
» [ Sourate 2 – Verset 256 ]
Ce
verset sera le leitmotiv des musulmans, partout
où ils mettront les pieds. En effet,
dans toutes les contrées où ils
pénétrèrent, ils respectèrent
les croyances des habitants et ne songèrent
nullement à les convertir par la force
et la contrainte. Bien mieux, ils laissèrent
à leurs sujets non musulmans, leurs églises,
temples, synagogues et ne s'immiscèrent
jamais dans leurs affaires privées. Cet
esprit de tolérance érigé
en politique d'état devait permettre
à l'islam de gagner des territoires immenses
en l'espace de quelques années. Déjà,
sous le règne d'Abû Bakr , l'avancée
du message du Prophète était impressionnante.
Ainsi,
après avoir rétabli la situation
au sein des tribus du Yémen et du Bahreïn,
Khâlid Ibn Al-Walîd , le prestigieux
stratège, se dirigea, sur les ordres
du Calife, vers l'Irak qui faisait alors partie
du fabuleux empire perse, arrivé
au stade de sa décadence.
En
compagnie d’Al-Muthanna Ibn Al-Hârith
,
qui l'avait précédé sur
les frontières perses, il prit la ville
de Sirâ, après avoir défait
le commandant de sa garnison à 'Ullays,
l'ancien Vologesias.
Poursuivant
son avancée fulgurante, il prit Madsar
Waladja, remportant ainsi victoire sur victoire.
L'Irak ne tarda pas à être conquise
par la foi de l'islam après la prise
de Bassorah, Hirâ, Sawâd.
Au
même moment, deux armées commandées
l'une par 'Amr Ibn Al-'Âs , l'autre par
Abû 'Ubayda et Shurahbil Ibn Hassana ,
prirent le chemin de la Syrie. La
première pénétra en Palestine
sud orientale, tandis que la seconde entra sur
le territoire de l'ancien Mu'ab.
Khâlid
qui venait d'achever sa conquête de l'Irak,
vint à la rescousse des armées
musulmanes avec une cavalerie d'élite.
II prit le commandement et mena les musulmans
à la grande victoire d'Al-Yarmûk
qui leur ouvrit, grandes, les portes de la Syrie.
La
propagation de l'islam à travers le monde
venait de commencer. Elle fut fulgurante et
étonna tous les historiens qui y virent
là un fait unique dans l'histoire de
l'humanité. C'est que, comme nous l'avons
dit, les armées musulmanes ont toujours
fait preuve de tolérance en cherchant
à gagner les cœurs et non les terres.
Ce n'est pas sans raison que le patriarche de
Jérusalem écrit au IXè
siècle, à celui de Constantinople
: « Ils sont équitables, ne nous
font aucun tort et ne se livrent à aucun
acte de violence contre nous. »
Abû
Bakr
eut le grand honneur d'inaugurer cette
série de conquêtes qui portèrent
très loin l'emblème de l'islam
et que ses successeurs poursuivront avec plus
de succès encore. Son
Califat, fut certes bref, mais les réalisations
qu'il accomplit, furent nombreuses et grandioses.
En
plus des conquêtes de l'Irak et de la
Syrie qu'il eut l'honneur d'inaugurer, on doit
à Abû Bakr
de nombreuses réalisations
qui feront date dans l'histoire de l'islam.
C'est ainsi, nous dit Suyûti , qu'il fut
le premier à mettre sur pied l'institution
du bayt al-mâl le trésor public.
Il fut aussi le premier à mettre en œuvre
le registre de donations ; il agissait
avec équité en donnant de la même
manière à l'esclave et à
l'homme libre, la même valeur à
l'homme et à la femme, aux adultes et
aux petits.
Le
bayt al-mâl servait à payer les
fonctionnaires de l'état, à approvisionner
les soldats lors des expéditions et à
venir en aide aux plus démunis. Il était
alimenté, en grande partie, par les revenus
de la zakât et par le un cinquième
du butin.
C'est
à lui, aussi, qu'incomba, le premier,
le soin de mettre en place les rouages de l'administration.
En effet, il prit à son service des secrétaires
qui notaient ses directives et il institua même
un cachet pour authentifier ses messages, sur
lequel était gravé : Dieu est
certes le plus capable. En outre, lorsqu'il
voulait prendre des décisions importantes
qui engageaient l'état, il consultait
toujours les plus proches compagnons du Prophète
,
entre autres, 'Umar, 'Ali, 'Uthmân, Sa'd
Ibn Abî Waqqâs, Sa'îd Ibn
Zayd, etc.
Toutefois,
l'acte qui lui valut le plus la reconnaissance
de la communauté musulmane, fut, sans
conteste, l'assemblage du Coran en une seule
copie autour de laquelle l'ensemble de la communauté
a fait l'unanimité jusqu'à nos
jours.
La
décision d'assembler la parole de Dieu
et de la transcrire, a été prise
suite à la disparition de dizaines de
compagnons huffaz - ceux qui connaissent par
cœur le Coran - tombés en martyrs dans
la bataille contre l'imposteur Musaylima. Certes,
les versets étaient déjà
transcrits sur des parchemins, des omoplates
de chameaux, mais on craignait que le temps
ne finisse par corrompre ce qui a été
transcrit.
Avec la disparition massive
des huffaz, Abû Bakr
décida d'agir
à la demande de 'Umar . Il convoqua, à
cet effet, le célèbre compagnon
Zayd Ibn Thâbit , et le chargea de faire
ce colossal mais noble travail.
Laissons
Zayd
nous raconter, lui-même, cette invitation
du Calife, tel que nous le rapporte Al- Bukhâri :
«
Quand je me suis présenté devant
le calife, j'y ai trouvé 'Umar IbnAl-Khattâb
. Abû Bakr
me
dit : Beaucoup de huffâz, ont été
tués le jour d'Al-Yamâma, et je
crains que cela ne se produise dans d'autres
lieux où les musulmans combattent. Les
huffaz qui sont nombreux parmi ces combattants,
en disparaissant, emporteraient avec eux une
partie du Coran qu'ils mémorisent. C'est
pour cela, que j'ai perçu la nécessité
d'assembler le Saint Coran et de le réécrire
afin qu'il soit conservé. À 'Umar
qui m'a suggéré cette proposition,
j'ai demandé comment ferai-je ce que
le Prophète n'a pas fait. »
Il
me dit : « Par Dieu, je jure qu'il est
préférable de procéder
à son assemblage!» Cela dit, il
insista tellement pour me convaincre, jusqu'à
ce que Dieu m'inspira la nécessité
d'un tel travail. J'ai fini donc par accepter
la proposition de 'Umar. »
Zayd
continua : « Abû Bakr
me dit alors :
Tu es un homme jeune et plein de sagesse. De
plus, nous avons confiance en toi, sachant que
tu as fait partie des scribes qui écrivaient
la révélation sous la dictée
du Prophète. Je pense donc que personne
n'est mieux placé que toi pour mener
à bien cette tâche. »
Zayd
dit : «
Par Dieu, la tâche qu'il
m'avait chargée d'accomplir, était
plus difficile pour moi que s'il m'avait demandé
de déplacer les montagnes ! J'ai commencé
alors à assembler les textes du Coran
qui étaient transcrits sur divers matériaux,
et je me suis adressé aux différents
huffâz, parmi les compagnons, afin de
trouver les deux versets qui me manquaient de
la sourate At-Tawba (Le repentir). Après
les avoir trouvés chez Khuzayma Ibn Thâbit
,
j'ai transmis la totalité des manuscrits
au Calife qui les conserva jusqu'à sa
mort. Ils furent ensuite conservés chez
Hafsa , la fille de 'Umar
et épouse du
Prophète .
Ainsi,
grâce à Abû Bakr , le Coran
put être assemblé et conservé
intact jusqu'à la fin des temps. La postérité
lui en saura gré pour cet acte des plus
sacrés. Ce fut, en tout état de
cause, le dernier acte qu'il accomplit au service
de la communauté. La maladie devait l’emporter
quelque temps après, au moment où
l'islam avait tant besoin de sa sagesse et de
son dévouement.
Même
devant la mort, il fit preuve d'une sagesse
et d'une humilité exemplaire. À
sa fille 'Âïsha
qui se lamentait
en le voyant agoniser, il dit :
"
Ne sois
pas dans cet état. Récite plutôt
la parole du Très-Haut " : «
L’agonie
de la mort fait apparaître la vérité
: Voilà ce dont tu t'écartais.
» [ Sourate 50 – Verset 19 ]
Il
ajouta ensuite :
« Prenez ces deux tissus,
lavez-les et utilisez-les pour me couvrir
comme linceul; car les vivants ont plus besoin
de tissu neuf que le défunt! »
En
voyant que leur calife était sur le point
de rendre l'âme, les musulmans lui demandèrent
de leur désigner un successeur qui puisse
assurer la cohésion de la communauté
et la bonne marche de l'état. C'est 'Umar
Ibn Al-Khattâb
qu'il leur désigna,
après avoir demandé l'avis des
plus proches compagnons comme 'Abd Ar-Rahmân
Ibn 'Awf, 'Uthman, Sa'îd Ibn Zayd etc.
Son
choix étant fait, il sortit auprès
des compagnons, appuyé sur sa femme Asmâ
Bint 'Umays
et leur annonça le nom de
son successeur, les motivations de son choix,
en leur recommandant obéissance et soutien.
Ils répondirent : « Nous avons entendu
et nous obéirons. »
Il
convoqua ensuite 'Umar
et lui donna les conseils
nécessaires pour diriger avec justice
et équité la communauté
du Prophète . Tranquillisé, il
pouvait alors rejoindre le Messager de Dieu,
son plus intime compagnon.
Sa dernière
volonté fut d'être lavé
par son épouse Asmâ Bint 'Umays
et d'être enterré à côté
du Prophète . Ses dernières paroles
furent : « Seigneur, fais-moi mourir musulman
et fais en sorte que je rejoigne le rang des
pieux. »
Après
que 'Umar
eut dirigé la prière
des morts sur la dépouille, on l'enterra
à côté de la tombe du Prophète
dans sa chambre personnelle. Ainsi s'acheva
le règne si éphémère
- deux ans et quelques mois seulement- mais ô
combien riche d'Abû Bakr . Riche, dans
la mesure où, en si peu de temps, et
dans une conjoncture très difficile,
il put surmonter les périls qui menaçaient
la communauté nouvellement bâtie
par le Prophète et préserver la
cohésion des tribus arabes unies pour
la première fois dans l'histoire autour
d'une foi commune.
Allant
plus loin encore, il inaugura avec succès
la série des conquêtes de l'islam
qui permirent à la foi islamique de s'établir
aux quatre coins du monde. Son assemblage du
Saint Coran en un seul volume est aussi une
œuvre admirable qui lui vaudra l'estime éternelle
des musulmans. Cet homme aux grandes qualités
de chef d’état savait aussi rester un
homme ordinaire et modeste.
Comment
aurait-il pu en être autrement alors qu'il
était un pur produit de l'école
du Prophète ?
On
rapporte qu'étant Calife, il n’hésitait
pas à aider une domestique à traire
sa chèvre. Quant à sa piété,
sa foi et sa vertu, il suffit de dire que le
Prophète
lui-même a reconnu ces
qualités pour reconnaître la valeur
de cet homme hors du commun.En
effet, d'après Sulayman Ibn Yâsir
,
l'Envoyé de Dieu
a dit un jour :
«
Dans le croyant, il y a trois cent soixante
qualités. Celui en qui se manifeste une
de ces qualités, entrera au Paradis.
» Abû Bakr
qui était présent
dit : « Ô toi qui m'est plus cher
que mon père et ma mère, y a-t-il
une de ces qualités en moi ? » Le
Prophète répondit : «
Elles sont toutes en toi! »
Ce
fut aussi un grand sage qui laissa des maximes
admirables sur le bon comportement dans la vie.
Il a dit, entre autres :
-
« Que Dieu bénisse un homme qui
s'est mis tout entier au service de son frère.
»
-
« Cherche à te corriger: les gens
seront amenés à être corrects
avec toi. »
-
« La sagesse la meilleure est de craindre
Dieu. La bêtise la plus grave est de lui
désobéir; la vérité
la plus évidente est de préserver
le dépôt qu'on vous a confié
(al-amâna) et le plus grave mensonge,
c’est la traîtrise! »
On
rapporte au sujet d'Abû Bakr
plusieurs
cas de thaumaturgie comme la clairvoyance et
le don de multiplier la nourriture. Ses jugements
aussi étaient justes et sages.
Il en
a donné la preuve en choisissant pour
sa succession 'Umar Ibn Al-Khattâb .
Avec
lui, en effet va s'ouvrir l'une des pages glorieuses
de l'islam.

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