« Celui qui désire entendre le Coran comme il fût révélé dans sa fraîcheur, qu’il l’entende de la bouche d’Ibn Um ‘Abd. »
 
[ Parole du Prophète Muhammad, rapportée par l’imâm Ahmad dans son Musnad, par Tirmîdhî et Al-Hâkim.]

 

On l’appelait lbn Um ‘Abd . Alors jeune adolescent, il faisait paître les troupeaux appartenant à un des dignitaires de Quraysh, ‘Uqba Ibn Mu’ayt, dans les sentiers de la Mecque, loin des bruits de la ville. Comme tous les habitants de la Mecque, Abdallah Ibn Mas’ûd, puisque c’est de lui dont il s’agit, avait entendu parler des nouvelles du Prophète qui venait d'apparaître parmi les qurayshites. Mais du fait de son jeune âge et de la vie de solitude qu'il menait, il ne s’intéressait pas beaucoup à de telles informations. Or, sa vie ne tarda pas à être profondément bouleversée par la rencontre de ce Prophète . C’est lui-même qui nous en fait le récit:

 

«J’étais un jeune adolescent qui travaillait comme berger chez ‘Uqba Ibn Mu’ ayt. Un jour, alors que je faisais paître mes moutons, je vis deux hommes d’âge mûr venir dans ma direction. Une fois devant moi, l'un d’eux me dit, après m'avoir salué : “O jeune garçon, veux-tu nous traire un peu de lait afin d’étancher notre soif ?” Je répondis: “Je ne peux pas le faire, les brebis ne sont pas à moi. Je ne fais que les garder.” Ma réponse sembla leur plaire car je vis la satisfaction se lire sur leur visage. Le même homme me dit alors: “Montre-moi une brebis en mesure de s’accoupler mais que le mâle n’a pas encore approché.” Je lui montrai une petite brebis qu’il prit entre ses mains.

Il essuya ses mamelles de sa main en invoquant Dieu, et voilà que ces dernières s’enflèrent et du lait se mit à se déverser en abondance. Je n’en croyais pas mes yeux. C’était un véritable miracle. Le deuxième homme apporta une roche creuse pour recueillir le lait. Ils burent tous les deux puis me donnèrent à boire. A la fin, l’homme qui avait fait traire la brebis dit à la mamelle : “Reprends ta forme première !” Et je la voyais rétrécir jusqu’à reprendre sa première forme. Impressionné par tant de prodiges, je dis à l’homme qui en était l’auteur: “Enseigne-moi les paroles que tu viens de prononcer.” Il me répondit : “Tu es un jeune garçon initié.” Les deux hommes n’étaient autres que le Messager de Dieu et son compagnon Abû Bakr.»

 

Ce jour-là, ‘Abdallah Ibn Mas ‘ûd venait de voir le cours de sa vie changer. Lui qui était un simple berger insouciant dont l'univers se résumait aux troupeaux de ‘Uqba Ibn Mu’ayt, voilà qu’il venait de rencontrer l’homme qui allait changer son destin. Mieux encore, cet homme qui accomplissait des miracles, cet homme qui affirmait être envoyé par le Ciel, et dont toute la Mecque parlait, venait de déceler en lui des vertus cachées d’initié, des prédispositions à cette vocation qui s’affirmeront des années plus tard. Le Messager de Dieu savait de quoi il parlait. Ce médecin des âmes avait décelé en ce jeune garçon éveillé et perspicace qu’était Ibn Mas’ûd les signes et les prémices de la sagesse et de la connaissance, en bref, la marque des initiés. L’avenir dira combien il avait raison.

 

‘Abdallah Ibn Mas ‘ûd ne tarda pas à aller se convertir auprès du Messager de Dieu et à lui proposer de le servir. Ce dernier accepta sa demande, et notre compagnon devint ainsi un des intimes du Messager de Dieu. Il ne le quittera plus de la journée en étant constamment à ses côtés à tel point qu’il fut surnommé le confident du Messager de Dieu. De son côté, l'Envoyé de Dieu avait permis à ce compagnon encore tout jeune d’entrer chez lui à n’importe quel moment et de le côtoyer autant qu’il le voudrait. Cela permit à Ibn Mas’ûd de s’imprégner de la science et de la sagesse dans lesquelles baignait la demeure du Prophète et de devenir l’un des compagnons les plus savants et les plus érudits. Tous les témoignages des compagnons concordent à accréditer cette thèse. C'est ainsi que Hudayfa IbnAl-Yamân a dit de lui:

« Jamais je n’ai vu de semblable au Prophète dans sa guidée, sa modestie et ses traits comme Ibn Mas’ûd. »

Abû Mûsâ Al-Ash’âri a dit, de son côté, en s’adressant aux compagnons : «Ne vous consultez pas dans les affaires de la religion tant que cet érudit est parmi vous. » Comment pouvait-il en être autrement alors que le Messager de Dieu avait dit à son sujet :

« Soyez fidèle à l’engagement d’Ibn Um ‘Abd. »

 

Cet illustre compagnon qui avait grandi dans la demeure du Prophète et étudié sous sa direction devint, à juste titre, l'un des plus savants et des plus érudits parmi les compagnons, notamment dans la connaissance du livre de Dieu et son interprétation. Sa récitation du texte sacré était tellement agréable que le Prophète lui-même aimait l’entendre de sa bouche. Un jour, il l’appela et lui dit:

«Récite-moi quelques versets ô ‘Abdallah ! »
Ibn Mas’ûd lui dit:
« Je te récite des versets alors que c’est à toi que le Saint Coran a été révélé ? »
L’Envoyé de Dieu lui répondit :
«J’aime l’entendre réciter par un autre que moi.»

Sa parfaite connaissance des textes sacrés était attestée par les plus grands compagnons . Un jour, un homme vint voir ‘Umar , alors calife, et lui dit:

« O commandeur des croyants, je reviens de Kûfa où j’ai vu un homme réciter par cœur toutes les variantes du Saint Coran. » ‘Umar se mit en colère et lui dit: « Malheur à toi ! Qui est-ce ? » L’homme lui répondit :
« C’est ‘Abdallah Ibn Mas’ûd.»
‘Umar se calma dès qu’il entendit prononcer son nom. Il dit à l’homme : «Malheur à toi, par Dieu, je ne crois pas qu’il reste encore un homme qui peut faire cela à part lui. Je vais te dire pourquoi... Un jour, nous étions, le Prophète et moi, chez Abû Bakr en train de discuter des affaires des musulmans. A la tombée de la nuit, le Messager de Dieu quitta la maison et nous le suivîmes dans la rue. En passant devant la mosquée, nous entendîmes quelqu’un réciter des versets du Coran.
Le Prophète s’arrêta et tendit l’oreille. Après avoir écouté quelques moments, il se tourna vers nous et nous dit:  “Celui qui désire entendre le Coran comme il fut révélé dans sa fraîcheur; qu’il l’entende de la bouche d’Ibn Um ‘Abd.” »

Ce pieux compagnon disait de lui-même sans aucune vantardise:

« Par Dieu, rien n’a été révélé dans le Coran sans que je n’en sache les raisons. Et personne n’en connaît plus que moi sur l’interprétation. S’il me parvenait que quelqu’un d’autre soit plus savant que moi dans le Livre de Dieu mais vers lequel on ne peut aller qu’à dos de chameau, je n’hésiterais pas à partir à sa rencontre, sans prétendre être meilleur que vous.»

Nous avons vu plus haut combien le Messager de Dieu aimait et estimait Ibn Mas’ûd dont le corps chétif et fragile cachait une foi fervente et passionnée.

Un jour, il monta sur un arbre pour apporter un bâton d’arak au Messager de Dieu. Les compagnons s'aperçurent de la minceur de ses jambes et se mirent à rire. Le Prophète leur dit alors : « Vous vous étonnez de la minceur des jambes d’Ibn Mas‘ûd ? Par Dieu, elles pèseront plus lourd dans la balance de Dieu que la montagne d'Uhud le jour de la Résurrection. » Le Messager de Dieu savait de quoi il parlait en faisant l’éloge de son compagnon. La foi, le courage et la sagesse de cet homme étaient exceptionnels. Une fois devenu musulman, l’ancien berger s’était transformé en un pasteur d’âmes qu’il guidait, par sa science et sa sagesse, sur la voie de Dieu. Il fut, nous dit-on, le premier croyant à oser proclamer à la face des négateurs les vérités de la Révélation :

Les musulmans, fort peu nombreux en ces débuts de la révélation, essayèrent de le dissuader en lui rappelant qu’il n'avait pas derrière lui de clan en mesure de le défendre contre la réaction violente des négateurs. Mais il leur répondit imperturbable: « Laissez-moi y aller. Dieu est avec moi. Il me protégera. » Et il partit vers le parvis de la Ka’ba où se réunissaient habituellement les dignitaires qurayshites. Arrivé devant la station d’Ibrâhîm, il commença à réciter à haute voix le début de la sourate Le Miséricordieux. Les qurayshites le regardèrent étonnés puis, ayant compris ce qu’il disait, ils sautèrent sur lui et se mirent à le battre en s’acharnant sur lui. Ce n’est qu’avec peine qu’il put s’arracher de leurs mains. Le visage ensanglanté, il revint vers les compagnons qui lui dirent : « C’est pour cela que nous avons craint pour toi. » Il leur répondit: « Par Dieu, je ne les crains pas aujourd’hui comme hier. Et si vous voulez que je refasse demain le même geste, je suis prêt à le refaire. » Ils lui rétorquèrent :  « Non! Ce que tu as fait est déjà beaucoup. Tu leur as fait entendre ce qu’ils abhorrent.»

 

Ce courage et cette bravoure, notre illustre compagnon en fera preuve dans toutes les batailles menées contre les païens qui voulaient éteindre la lumière de l’islam. Que ce soit à Badr, à Uhud, à la bataille des tranchées, à Tabûk, à Hunayn, avec le Messager de Dieu ou lors des glorieuses conquêtes en Perse, en Irak et en Syrie, sous les califats d’Abû Bakr et de ‘Umar , il était toujours aux premières lignes, cherchant la voie du martyr. A Badr, surtout, il eut un comportement particulièrement héroïque en prenant part à la mise hors d’état de nuire du plus acharné des ennemis de l’islam : Abû Jahl.

La piété et l’ascétisme de ‘Abdallah Ibn Mas ‘ûd étaient également célèbres parmi les compagnons. S’il n’était pas dans la demeure du Messager de Dieu en train de le servir, il passait le reste de son temps avec les habitués de la Sûfa, parmi les plus pauvres des compagnons , s’adonnant aux actes d’adoration et à l’évocation des Noms de Dieu. C’était un homme à la foi ferme et à la certitude affirmée. En dépit de toutes les vertus qui lui étaient attribuées, il avait toujours des scrupules lorsqu’il s'agissait de citer des paroles du Prophète. Il craignait d'oublier quelque chose ou de se tromper en dépit du fait que le Prophète avait dit à son sujet :

« Si Ibn Mas‘ûd vous parle, ajoutez foi à ses paroles. » Il a dit aussi : « Soyez fidèles à l’engagement d’Ibn Um ‘Abd.»

On rapporte toujours, dans cet ordre d’idées, que ‘Abdallah Ibn Mas’ûd était parmi les personnes dont le Messager de Dieu est mort satisfait. Les califes du Prophète ont manifesté la même confiance et le même respect à cet illustre compagnon. C’est ainsi que ‘Umar l’envoya à Kûfa seconder ‘Ammâr, son gouverneur, avec le message suivant :

« Je vous envoie ‘Ammâr comme gouverneur et ‘Abdallah Ibn Mas‘ûd  comme maître religieux et comme ministre. Ce sont deux des meilleurs compagnons du Prophète. Obéissez-leur et prenez exemple sur eux. Apprenez aussi que je vous ai préféré Ibn Mas’ûd sur moi-même. Profitez donc de ses enseignements. »

Les habitants de Kûfa furent tellement satisfaits de sa mission parmi eux qu’ils refusèrent de le laisser partir lorsque
‘Uthmân , alors Calife, voulut le destituer. Ils lui dirent :

« Reste à ton poste et ne le quitte pas ; nous te défendrons contre tout ce qui pourrait t’arriver. » Mais, dans sa grande sagesse, il déclina cette offre en leur disant : « Je dois lui obéir, sinon il y aura des troubles et de la sédition, et je ne veux pas en être responsable.»

 

Une autre fois, on lui dit que ‘Uthmân faisait une prière de quatre génuflexions à la Mecque et à Mina durant le pèlerinage, alors que le Prophète et ses deux premiers califes Abû Bakr et ‘Umar en faisaient deux. Notre pieux compagnon suivit l’exemple de ‘Uthmân et en fit quatre comme lui. A ceux qui lui demandèrent pourquoi, il répondit : « Parce que les divergences sont source de mal. » C’est dire combien Ibn Mas‘ûd était sage et visionnaire. On aurait dit qu’il avait anticipé ce qui allait arriver à la communauté comme divergences et comme malheurs. Mais, hélas, il ne sera pas là le jour où on aura besoin de sa sagesse et de ses conseils.

Le Seigneur l’avait appelé à Lui. Etendu sur son lit de mort, il reçut la visite de ‘Uthmân venu s’enquérir de son état. Il lui dit: « De quoi te plains-tu ? » Ibn Mas’ûd répondit: « De mes péchés. » — « Qu’espères-tu ? »« La miséricorde de Dieu. » ‘Uthmân lui dit: « Veux-tu que je te verse ton dû que tu as refusé de prendre durant de nombreuses années ? » Ibn Mas’ûd répondit : « Je n’en ai pas besoin. » « Accepte-le pour tes filles. Elles en auront besoin plus tard. » — « Crains-tu la pauvreté pour mes filles ? Je leur ai recommandé de lire chaque nuit la sourate de l'événement (Al-wâqi’a). Or, j’ai entendu le Messager de Dieu dire : “Celui qui récite chaque nuit la sourate de l'Evénement n’aura pas à craindre la pauvreté.” »

À la tombée de la nuit, il rendit l’âme après que son dernier râle se soit confondu avec la prononciation du Nom de Dieu qu’il a tant évoqué en ce bas monde.

{ Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée,
entre donc parmi Mes serviteurs, et entre dans Mon Paradis. }
[ Sourate 89 - Versets 27-30 ]

 

 

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