
«
Ô 'Umar, peut-être que Suhayl
prendra
demain une position qui te réjouira.»
[ Parole
du Prophète Muhammad ,
rapportée par Ibn Asâkir d'après
le récit de 'Ubaydallah Ibn 'Umayr.]
C'était
un ennemi acharné et irréductible
du Messager de Dieu et
de l'islam. Il
avait mis ses dons de tribun et de poète
au service de la propagande qurayshite dirigée
contre le Prophète .
Son redoutable sens de la diplomatie et sa réputation
de fin négociateur furent utilisés
par Quraysh lorsqu'il fallait ouvrir des négociations
avec le Messager de Dieu .
Et c'est ainsi que son nom allait se confondre
dans l'histoire avec le traité d'Al-Hudaybiya
signé entre le Prophète
et la tribu de Quraysh en l'an six de l'Hégire.
Ce jour-là, Suhayl
fit preuve d'une intransigeance
excessive en refusant que soit mentionné
sur le parchemin du traité le terme de
« Clément », qualifiant Dieu,
et celui de Messager de Dieu, qualifiant le
Prophète ,
en dépit des protestations des compagnons.
Mais le Messager de Dieu
savait
ce que ses compagnons ignoraient. Et c'est ainsi
que le traité d'Al-Hudaybiya s'avérera
être un vrai succès diplomatique
pour la cause de l'islam.
Il
en va de même pour Suhayl
à qui
beaucoup de compagnons en voulaient pour son
hostilité contre l'islam mais que le
Messager de Dieu
ménagea pour des raisons que lui seul
connaissait.
En
effet, lors de la bataille de Badr, Suhayl Ibn
'Amr
fut fait prisonnier par les musulmans avec
d'autres qurayshites. 'Umar
qui lui en voulait
terriblement, s'approcha du Prophète
et lui dit :
« Ô Messager de Dieu
! Laisse-moi arracher les incisives à
Suhayl
pour qu'il ne puisse plus dénigrer.
»
L'Envoyé
de Dieu lui
répondit :
« Ô 'Umar, je
n'ai pas le droit de mutiler quiconque afin
que Dieu ne me mutile pas, bien que je sois
prophète. »
Puis,
il fit à 'Umar
cette confidence :
«
Ô 'Umar, peut-être que Suhayl
prendra
demain une position qui te réjouira...»
Là aussi, l'observation du Messager
de Dieu
s'avérera
vraie... Le
plus grand tribun de Quraysh, son plus fin diplomate,
devint un des plus acharnés défenseurs
de l'islam qu'il avait tant combattu. Et cette
heureuse métamorphose ne fut possible
que grâce à la grandeur d'âme
et la magnanimité dont fit preuve le
Messager de Dieu
lors
de son entrée à la Mecque.
C'est
en l'an huit de l'Hégire, en effet, que
le Prophète ,
à la tête de quelques dix mille
musulmans, marcha sur la Mecque d'où
il avait été expulsé avec
ses compagnons huit ans auparavant. Jamais la
Mecque et ses environs n'avaient vu un tel monde
discipliné scandant l'unicité
de Dieu.
L'islam,
qui ne comptait qu'un nombre restreint d'hommes
et de femmes obligés de se cacher pour
adorer Dieu était maintenant au fait
de sa gloire et de sa puissance. La Mecque,
voyant que toute résistance était
vaine, ouvrit ses portes et retint son souffle.
Qu'allait faire d'elle le Messager de Dieu
après qu'elle l'eût traité
d'imposteur, torturé et persécuté
ses compagnons
jusqu'à ce qu'elle les
ait chassés de leur terre natale ?
Et
c'est ainsi que la crainte de la vengeance pour
les torts subis par les musulmans s'installa
dans les coeurs des qurayshites. Suhayl Ibn
'Amr
était de ceux qui avaient cette
impression. Laissons-le nous raconter lui-même
ce qu'il avait ressenti ce jour-là :
«
Lorsque le Messager d'Allâh
entra à la Mecque, je me suis réfugié
chez moi et me suis barricadé. Ensuite,
j'ai envoyé mon fils 'Abdallah demander
au Prophète
de m'accorder l'amân (protection) et le
pardon car je craignais pour ma vie. 'Abdallah
alla voir le Messager
et
lui dit : "
Ô
Envoyé de Dieu ! Mon père demande
de l'amân. Peux-tu le lui accorder ?"
Il
lui répondit : « Oui, il a l'aman
de Dieu, qu'il sorte sans crainte. »
Ensuite,
l'Envoyé de Dieu
s'adressa
à ceux qui l'entouraient et leur dit
: « Quiconque parmi vous aperçoit
Suhayl, qu'il évite de lui montrer de
l'hostilité, car celui-ci est un homme
raisonnable et noble et ce n'est pas quelqu'un
comme lui qui peut ignorer l'islam. Aucune force
ne peut empêcher les desseins de Dieu
de s'accomplir...»
Abdallah courut annoncer
la bonne nouvelle à son père.
Celui-ci s'écria alors :
« Par
Dieu, il a été magnanime !»
Le
Messager de Dieu
reçut ensuite les habitants de la Mecque
inquiets quant à leur sort, et leur dit
: « Ô peuple de Quraysh, qu'attendez-vous
de moi ? »
Suhayl,
qui venait de recevoir le pardon du Prophète
,
s'approcha et parla au nom des Quraysh.
Il
dit : « Nous n'attendons que le bien.
Tu es un frère généreux,
fils d'un frère généreux...»
Le visage éclairé par
un large sourire, le Messager
les regarda avec affection puis leur dit :
«
Allez, vous êtes libres ! »
Depuis
ce jour-là, Suhayl
ne sera plus le même
homme. Ces paroles l'avaient troublé,
bousculé et profondément bouleversé.
Il pensa et repensa au cas de Muhammad
et n' arrivait pas à admettre qu'un tel
homme aux qualités spirituelles et morales
indéniables fût un imposteur.
Le
Messager
a dit vrai :
«
Un homme raisonnable et noble ne peut ignorer
l'islam... »
Et
c'est ainsi, graduellement, que son coeur s'ouvrit
à la lumière de l'islam, ce qui
est admirable pour cet homme qui ne s'est pas
converti par peur ou par contrainte, mais après
une longue réflexion sur le Prophète
et son message.
On
rapporte que le jour de la bataille de Hunayn,
il n'était pas encore musulman, et ce
n'est que plus tard qu'il embrassa l'islam à
Al-Ja'rana, près de la Mecque. Et là,
il devint un musulman fervent et convaincu qui
se surpassa pour faire oublier son passé.
Abû
Bakr
rapportera ce qui suit :
« J'ai vu
Suhayl Ibn 'Amr
le jour du pèlerinage
d'adieu, offrant au Messager de Dieu
une bête qu'il sacrifia de sa main. Ensuite,
ce dernier se fit couper les cheveux et je vis
Suhayl
les prendre et les mettre sur ses yeux.
Je me rappelai alors le refus de Suhayl
d'écrire
"Au nom de Dieu, Clément et Miséricordieux"
et "Muhammad, Messager de Dieu" et
je remerciai Dieu de l'avoir guidé...
»

Ses
contemporains ont tous témoigné
de sa piété, de ses penchants
pour la prière et le jeûne, de
sa crainte révérencielle de Dieu
et de sa passion pour le Saint Coran, qu'il
entreprenait d'apprendre avec beaucoup d'efforts.
Quant à ses dons de tribun et de diplomate,
il les mettra désormais au service de
l'islam, seulement de l'islam.
C'est ainsi qu'il
prendra une position historique à la
mort du Messager ;
position qui redonnera à la communauté
sa cohésion et sa stabilité après
que celle-ci eût connu des moments de
flottement et de panique, aussi bien à
Médine qu' à la Mecque.
Si,
à Médine, Abû Bakr
a su
par sa grande sagesse remettre les choses dans
l'ordre, à la Mecque, ce fut notre illustre
compagnon Suhayl
qui joua ce rôle décisif.
Il rassembla les musulmans désorientés
par la mort du Prophète
et leur tint un discours admirable qui leur
rendit leur sérénité et
leur stabilité.
Il leur dit que Muhammad
était un vrai
messager et que sa mission était authentique,
car ce n'est qu' après l' avoir accomplie
qu'il rendit l'âme. Maintenant qu'il est
mort, ajouta-t-il son message est toujours là
et leur devoir à eux est de suivre ce
message et d'être fidèles à
ses enseignements. Et c'est là que s'accomplira
la prédiction du Prophète
disant à 'Umar :
« Ô 'Umar.
peut-être que Suhayl
prendra demain une
position qui te réjouira !»
Et
à propos des incisives que 'Umar
voulait
arracher, « Laisse-les ô 'Umar,
peut-être qu'un jour elles te plairont.
», 'Umar
se remémora cette prédiction et
rit longuement. Suhayl
était maintenant
un des plus ardents défenseurs de l'islam.
Lorsque
les armées musulmanes prirent le chemin
menant aux empires romain et perse, Suhayl
y
prit sa place le plus naturellement du monde,
en luttant, cette fois-ci, pour un idéal
de salut et de justice pour les peuples asservis
et soumis au règne des tyrans.
Le
jour de la bataille d'Al-Yarmûk, il fit
preuve d'un héroïsme légendaire,
trouvant par là l'occasion d'effacer
le souvenir de son passé d'ennemi de
l'islam. Et il l'effaça aussi courageusement
qu'admirablement.
Les
armées musulmanes victorieuses revinrent
à leur point de départ, mais Suhayl,
lui, refusa d'y revenir en dépit de l'attachement
qu'il éprouvait pour sa ville natale.
Un de ses compagnons, Abû Sa`d Ibn Fudhâla
qui l'avait accompagné en Syrie rapporte
à son sujet ce qui suit : «
J'ai entendu Suhayl
dire, alors que nous étions en Syrie
:
"J'ai entendu le Messager de Dieu
dire : "
Celui qui consacre une heure de sa vie au service
de Dieu a plus de mérites que celui qui
oeuvre toute sa vie dans sa famille."
Aussi,
je me consacrerai là au service de Dieu
et je ne retourne plus à la Mecque."
»
[ Voir La vie des compagnons de Yusuf Al-Kandahlawi,
Dar al-Qalam, Damas.]
Et
c'est dans les environs de la Palestine qu'il
mourut, alors qu'il était mobilisé
dans la voie de Dieu, prêt à tout
moment à lutter pour la défense
de l'islam et pour sa gloire.
Que
Dieu
soit satisfait de cet illustre compagnon repentant
et plein de résipiscence !

Cliquez
ici pour revenir à l'accueil
Cliquez
ici pour fermer la fenêtre
|